« Merci, tabarnak ! » : chronique d’un Québécois d’adoption

Article : « Merci, tabarnak ! » : chronique d’un Québécois d’adoption
Crédit: Image : Biosphère, Montréal, Canada. (Pixabay)
3 mars 2025

« Merci, tabarnak ! » : chronique d’un Québécois d’adoption

On ne choisit pas où l’on naît, mais parfois, on a la chance de choisir où l’on s’épanouit. Dans un monde où tant de gens vivent dans l’incertitude et la peur, il existe encore des endroits où l’on peut avancer sans entraves, bâtir sans crainte et espérer sans restriction. Voici un hommage sincère – teinté d’humour et de gratitude – à une terre qui m’a adopté et offert bien plus qu’un simple refuge : une véritable maison.

Le Chateau Frontenac à Québec (Image libre de droit)

Aujourd’hui, j’ai pris une claque. Pas une vraie, là – pas comme celles que ma grand-mère distribuait quand on osait toucher au dernier morceau de griot sans permission. Non, une claque existentielle. Le genre qui te fait t’arrêter net au beau milieu de ta journée et te dire : « Mon gars, t’es chanceux en sacrament. »

Parce que pendant que je sirotais mon café (trop cher, mais quand même pas pire) dans le confort de mon salon, j’ai lu les nouvelles. J’ai vu ces images d’Haïtiens aux États-Unis, coincés dans une tempête qu’ils n’ont pas créée. Stigmatisés, menacés d’expulsion, traités comme un fardeau, alors que tout ce qu’ils veulent, c’est bosser, vivre, respirer.

Puis, j’ai repensé à Haïti. Mon premier chez-moi.

Un pays pris en otage. Pas juste par les gangs avec leurs fusils, mais aussi par ceux en cravate, qui pillent sans kalachnikov mais avec des stylos et des comptes bancaires offshore. Et pendant ce temps, aux États-Unis, un demi-million de personnes originaires d’Haïti, des Haïtiens comme moi, vivent en sursis, menacées d’expulsion, suspendues à un fil d’espoir qui s’effiloche un peu plus chaque jour.

Et moi ? Moi, je suis ici. Bien installé, en sécurité, avec un toit au-dessus de ma tête et un système de santé qui, malgré ses files d’attente interminables, finit toujours par me soigner sans me ruiner. J’ai un passeport qui me permet de voyager sans qu’on me regarde comme si j’étais un intrus. J’ai une éducation qui ne m’a pas coûté l’âme et qui m’a permis d’avoir une carrière.

Alors, je me suis dit que c’était peut-être le moment de dire merci.

Je suis arrivé ici comme bien d’autres : avec une valise lourde et un cœur léger, plein de rêves et d’inquiétudes.

Au début, je me suis battu avec l’hiver comme on se bat avec un mauvais coloc : en essayant d’ignorer son existence jusqu’à ce qu’il devienne inévitable.

Premier hiver, première pelle. J’ai vu la neige tomber en novembre et je me suis dit : « Oh, c’est beau ! » Puis j’ai compris qu’elle n’allait pas juste rester belle et immobile. Elle allait s’accumuler, devenir lourde, bloquer des voitures, geler mes orteils. Je me suis retrouvé en janvier, à -30°C, les cils givrés, à me demander si j’avais réellement quitté la misère ou si j’étais juste devenu un popsicle haïtien.

Au fil des années, à travers le froid, j’ai découvert la chaleur des gens. Ce voisin qui m’a montré comment booster ma batterie quand mon char a refusé de démarrer à -25. Cette madame dans l’autobus qui m’a expliqué c’est quoi une poutine (et pourquoi c’est une hérésie de ne pas aimer ça). Ces collègues qui m’ont invité à mon premier party de Noël où j’ai compris qu’un Québécois saoul, c’est un poète incompris qui chante du Beau Dommage en pleurant.

Puis, il y a eu mon premier Québec contre le reste du Canada.

Parce que si tu arrives ici en pensant que le Québec, c’est le Canada, tu te trompes. Le Québec, c’est un pays en soi, et à l’intérieur, il y a Montréal. Montréal, c’est une fusion de toutes les cultures, un monde où tu peux manger du pâté haïtien au déjeuner, de la soupe tonkinoise au dîner et finir ta journée avec un smoked meat à 3 h du matin.

Mais en sortant de l’île, tu découvres le vrai Québec, avec ses régions qui ont chacune leur âme et leur caractère. D’abord, il y a Québec, la capitale nationale, fière et historique, l’Estrie et ses paysages bucoliques, la Gaspésie sauvage et maritime, le Saguenay–Lac-Saint-Jean chaleureux et festif, l’Abitibi authentique et résiliente, la Côte-Nord majestueuse et isolée, la Mauricie entre forêts et rivières, le Bas-Saint-Laurent poétique et apaisant, le Centre-du-Québec agricole et inventif, sans oublier toutes ces autres régions où chaque village a son accent, son histoire et sa manière unique d’accueillir le monde.

J’ai vu ces villages où tout le monde se connaît, où les gens te regardent avec une curiosité bienveillante. J’ai rencontré ces Québécois de région qui, après deux bières, te parlent comme si t’étais leur cousin perdu. Et surtout, j’ai compris une chose essentielle : le Québec, c’est pas juste un territoire. C’est un état d’esprit.

La murale en hommage à Leonard Cohen se trouve dans l’arrondissement de Ville-Marie sur l’édifice du 1420, rue Crescent (Flikr: Image libre de droit)

On peut reprocher bien des affaires au Québec : les routes pleines de nids-de-poule qui pourraient avaler une Honda Civic, le système de santé qui fonctionne à coup de « Revenez dans six mois, si vous êtes encore vivant », le prix des loyers qui grimpe plus vite que ma pression quand je vois ma facture d’épicerie.

Mais malgré tout, jamais, jamais je ne me suis senti aussi bien traité qu’ici.

J’ai eu droit à l’éducation sans que ça me coûte une fortune ou que je doive m’endetter à vie. J’ai pu dire ce que je pense sans craindre que quelqu’un vienne frapper à ma porte. J’ai pu travailler, bâtir ma vie, payer mes impôts (avec une petite grimace, mais bon, faut bien payer pour ces foutues routes).

Je suis d’ailleurs encore fasciné par cette chose typiquement québécoise : le débat éternel sur l’identité. Qui est Québécois ? Qui ne l’est pas ? Faut-il être né ici ou juste aimer le sirop d’érable et chialer sur le Canadien de Montréal ? Moi, je me suis jamais posé la question longtemps. J’ai adopté le Québec et il m’a adopté en retour, même si mon accent trahit mes origines chaque fois que je commande un « pain au chocolat » au lieu d’un « chocolatine ».

Il y a bien sûr des idiots partout. J’ai croisé quelques racistes, des gens qui me regardaient comme si j’étais une anomalie statistique dans leur quartier trop homogène. J’ai entendu des bêtises, subi des préjugés, comme tout immigrant.

Mais honnêtement ? C’est minime.

La plupart des gens ici s’en foutent que je sois né ailleurs, tant que je fais ma part, que je participe à la société, que je râle contre la météo avec eux.

Et ça, c’est précieux.

Parce qu’on ne réalise pas toujours ce qu’on a tant qu’on n’a pas vu ce que d’autres ont perdu. J’ai la liberté d’exister sans peur. Je peux me promener sans me demander si un gang va me kidnapper. Je peux voter sans que mon choix soit un simulacre.

Alors oui, j’ai quitté le Québec pour l’Ontario pour des raisons professionnelles, mais mon cœur, lui, il est resté accroché à un lampadaire du boulevard Saint-Laurent.

Merci à ce pays qui m’a donné une nouvelle vie. Merci à cette province qui m’a appris que la neige, ça se pelle, que le mot « maudit » peut exprimer à la fois la colère et l’affection, et que le meilleur remède contre le blues de l’hiver, c’est un bon « party » entre amis.

Merci aux Québécois, qui m’ont accueilli comme l’un des leurs, qui m’ont appris à sacrer avec éloquence et qui m’ont prouvé qu’on peut être chaleureux même quand il fait -40.

Je suis chanceux. Chanceux d’avoir trouvé un endroit où je peux être moi-même, où je peux grandir, où je peux espérer un avenir meilleur.

Et aujourd’hui, en regardant ce qui se passe ailleurs, je ressens plus que jamais cette gratitude.

Alors, à tous ceux qui ont fait du Québec un endroit où un petit Haïtien comme moi a pu devenir un grand Québécois d’adoption… Merci !

Image : Montréal Urbain, Centre ville. Utilisation gratuite. (Pixabay)

Je sais que dans la vie, on oublie vite. On prend pour acquis ce qu’on a. On râle sur la neige sans se rappeler que, ailleurs, c’est la peur qui tombe du ciel. On chiale sur le système de santé sans se rappeler qu’ailleurs, t’as pas le droit d’être malade si t’es pauvre. On peste contre les taxes sans réaliser qu’ailleurs, les impôts ne construisent pas d’écoles, ils disparaissent dans les poches de ceux qui te gouvernent.

C’est facile d’oublier la chance qu’on a quand on la vit tous les jours.

Mais moi, j’oublie pas.

Je me souviens de mes premières années ici. Je me souviens du premier hiver où j’ai failli perdre mes oreilles (et ma dignité) en sortant sans tuque parce que « ça doit pas être si pire ». Je me souviens de la première fois que j’ai voté ici, ce moment où j’ai réalisé que mon opinion comptait pour vrai, que mon choix ne finirait pas dans un sac poubelle derrière une école. Je me souviens de la première fois qu’un collègue québécois m’a invité chez lui pour un souper et que j’ai découvert la tourtière – en me demandant pourquoi, pour l’amour du ciel, on appelait ça une tourtière alors que c’était une tarte à la viande.

Je me souviens de la première fois où j’ai sacré en plein contexte, avec la bonne intonation, et que mes amis québécois m’ont regardé avec fierté, comme si j’avais enfin passé un rite de passage.

Je me souviens de toutes ces petites choses qui font du Québec ce qu’il est.

Et je me souviens surtout de ce que le Québec m’a donné : la liberté.

Pas juste la liberté de parole ou la liberté de bouger sans crainte. La liberté d’espérer.

Parce qu’on ne s’en rend pas compte, mais espérer, c’est un luxe.

Ailleurs, espérer, c’est dangereux. Espérer une meilleure vie, ça peut faire de toi une cible. Espérer que tes enfants puissent aller à l’école sans risquer leur vie, c’est un vœu pieux. Espérer que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, c’est une naïveté qui coûte cher.

Mais ici ? Ici, espérer, c’est normal. C’est même encouragé.

Et c’est peut-être ça, au fond, le plus beau cadeau que le Québec m’ait fait.

Alors oui, il y a des journées où je sacre contre Hydro-Québec parce que ma facture me donne envie de pleurer. Oui, il y a des matins où j’en peux plus du froid, où je rêve d’une plage et d’un vrai soleil du pays natal qui ne me veut pas du mal. Oui, il y a des moments où je me demande si un jour, je vais vraiment aimer le sirop d’érable (petit secret : non, mais je fais semblant pour éviter les débats).

Mais malgré tout ça, je reste reconnaissant.

Parce que je sais que je viens d’un endroit où espérer n’est pas un droit. Et je vis maintenant dans un endroit où c’est la norme.

Alors, encore une fois… Merci, tabarnak !

Merci pour le froid, qui m’a appris davantage la résilience.
Merci pour les files d’attente chez le médecin, qui me rappellent que même si c’est long, au moins, j’aurai des soins.
Merci pour les hivers interminables, qui font que chaque printemps ressemble à une résurrection.
Merci pour les débats linguistiques, qui prouvent qu’ici, on tient à la culture au point d’en faire un sport national.
Merci pour le hockey, même si je comprends toujours pas pourquoi c’est une religion.
Merci pour les amitiés sincères, les voisins serviables, les collègues accueillants.
Merci pour cette terre qui, sans me connaître, m’a offert une place.

Et si un jour, quelqu’un ose me demander si je me sens Québécois, je répondrai, sans hésiter, sans peur, et avec tout l’amour que j’ai pour cette province…

Ben oui, câlisse !

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