Le Grand Fabricant !

Article : Le Grand Fabricant !
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28 janvier 2025

Le Grand Fabricant !

Le Grand Fabricant, celui qu’on appelle l’Ingénieur des lignes droites, l’Architecte des barrières. Un homme avec des bras si larges qu’il croyait pouvoir mesurer la terre entière et dire : « Toi, tu restes ; toi, tu pars. Toi, tu es des nôtres ; toi, tu es l’autre. » Ce n’est pas un homme, non, c’est une fabrique ! Une usine ambulante de clôtures et de discours aux dents acérées, une machine qui broie les terres, broie les vies, et découpe l’horizon en morceaux qu’il garde pour lui, comme un chien garde son os.

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Depuis qu’il est monté sur le trône des Démocrassiques-Unis – oui, un trône ! Parce que cet homme ne gouverne pas, il règne ! – il s’est découvert une mission. Pas une petite mission, non. Une mission historique, une croisade : réparer les cartes et les peuples avec sa grande gomme magique. Il s’est levé un matin et a déclaré, avec une voix grave comme un tambour : « Je vais rendre sa pureté à cette grande et noble nation ! Elle a été souillée par des vagues ! Des vagues de ceux qui ne nous ressemblent pas, qui ne parlent pas comme nous, qui mangent des choses bizarres ! Mais à partir de maintenant, il n’y aura plus de vagues, que des murs. »

Le Grand Fabricant des Frontières aime tracer. Il trace comme un enfant fougueux qui gribouille sur une feuille sans savoir qu’il rature l’avenir. Là où il passe, il y avait des routes poussiéreuses où les pieds humains dansaient ; il y avait des chants, des récits d’horizons partagés. Mais derrière lui, tout devient silencieux. Plus de rires. Juste des grilles et des postes de garde où l’on regarde les voyageurs avec des yeux aiguisés comme des couteaux.

Il a construit une muraille si haute qu’elle touche presque les étoiles ! « Pour que personne ne vienne voler notre lumière », dit-il. Mais ce qu’il ne comprend pas, ce bâtisseur aveugle, c’est que le ciel appartient à tout le monde. Et si tu dresses un mur pour l’attraper, c’est toi qui finis enfermé.

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Les déportations

Un jour, Le Grand Fabricant s’est levé, courroucé. Il a dit : « Ceux qui sont venus sans invitation ? Il faut qu’ils retournent d’où ils viennent. Même s’ils sont venus avant ma naissance, avant la naissance de mon père, avant même que mon peuple ait appris à marcher sur cette terre. Qu’ils partent ! » Il a balayé du regard des foules entières : des mères, des pères, des enfants aux pieds nus. Il les a appelés des chiffres, des “problèmes”, des “menaces”.

Oh, comme il a bien travaillé ! Il a empilé des corps comme on empile des pierres pour bâtir des murs ; il a jeté des vies comme on jette des graines dans un désert stérile. Il a transformé des bateaux en cages, des avions en exils, des rêves en cauchemars. Mais écoute ! Écoute bien les cris des déportés. Ils ne crient pas seulement ; ils chantent aussi ! Parce que même dans l’exil, même dans la douleur, ils savent quelque chose que Le Grand Fabricant ignore : on peut voler une terre, mais pas une âme.

Et un matin, ce grand géomètre de la haine a eu une idée : « Pourquoi ?  s’est-il demandé, devrait-on donner la terre aux enfants des ventres qui n’auraient jamais dû franchir mes murs ? » Alors, il a décrété que les enfants des mères illégales – même nés ici, même venus au monde sous le ciel de mon empire ! – ne pourraient jamais dire : « Cette terre est à moi. » Le sol sous leurs pieds est devenu invisible, comme s’ils flottaient dans l’air. Mais comment peut-on être né sans sol ? Voilà une énigme pour les sages. Même les oiseaux, eux, savent où poser leurs pattes. Mais pas ces enfants. Ils étaient là, sur la terre, mais sans terre. Là, dans le monde, mais sans monde.

Et Le Grand Fabricant souriait, satisfait de son invention. « Regardez, disait-il, je leur ai coupé les racines ! » Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’un enfant sans racines apprend à voler. Et un jour, ces enfants, devenus grands, survoleraient ses murs, ses grilles, ses cartes.

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Un roi aux pieds d’argile

Et pourtant, vois cet homme, cet architecte des séparations. Crois-tu qu’il dort tranquille ? Il ne dort pas ! Car chaque nuit, les ombres des déportés viennent danser dans ses rêves. Les visages des mères qu’il a arrachées à leurs enfants le fixent. Les mots des langues qu’il voulait réduire au silence bourdonnent dans ses oreilles comme des abeilles en colère. Il croyait bâtir des frontières ; il a construit une cage pour son propre esprit.

Car voilà le grand secret que Le Grand Fabricant ne comprendra jamais : les frontières ne sont pas faites de barbelés ou de béton. Les frontières sont dans nos têtes. Et tant que nous voyons l’“autre” comme une menace, tant que nous croyons que la peau, le nom, ou la langue peuvent définir la valeur d’un homme, alors c’est nous qui sommes prisonniers.

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Le chant du vent

Mais le vent, lui, se moque des frontières. Il court d’un pays à l’autre, caresse les visages, souffle dans les arbres, fait frissonner les rivières. Il apporte des histoires, des rumeurs de lointains pays. Il chante : « Un jour, les murs tomberont. Un jour, les cartes brûleront. Un jour, les terres retrouveront leur vraie forme : celle qui n’a pas de limites. »

Et ce jour-là, peut-être que même Le Grand Fabricant des Frontières comprendra qu’il n’y a pas d’“eux” ou de “nous”. Il n’y a que des hommes. Des voyageurs sur une terre qui n’appartient à personne, sauf au vent et au temps.

J’écris tout cela pour toi, qui as peut-être cru aux paroles du Grand Fabricant. Toi qui vois dans l’étranger une menace, dans la différence un danger. Écoute bien. Le monde est vaste, oui, mais ton cœur doit l’être encore plus. Car si tu fermes ton cœur, alors les frontières ne sont pas sur la carte. Elles sont en toi.

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