Haïti : Neuf chefs d’État pour un chaos

Article : Haïti : Neuf chefs d’État pour un chaos
Crédit: par Logan Abassi / UNDP Global de Wikimedia Commons
26 avril 2024

Haïti : Neuf chefs d’État pour un chaos

Haïti, ce pays où la tragédie semble avoir élu domicile, a inauguré jeudi 25 avril son conseil présidentiel de transition, un organisme de neuf présidents aux allures de théâtre politique, promettant l’ordre dans un chaos indomptable.

À l’occasion d’une cérémonie séparée en deux actes – l’un dans un palais présidentiel en ruines, symbole poétique d’un État brisé, l’autre dans une Villa d’accueil guère plus accueillante – huit hommes et une femme ont juré de redresser ce qui semble incurablement affaissé.

Au cœur de Port-au-Prince, les balles résonnaient comme pour narguer la fanfare officielle, rappelant que les promesses faites sous les ors fanés sont aussi fragiles que le calme dans les rues de la capitale. Le conseil, une brochette hétéroclite de neuf têtes pour un corps malade, se dresse tel un panthéon ironique face à une réalité où les gangs dictent leur loi, rendant toute tentative de gouvernance presque risible.

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Les visages du nouveau gouvernement

Michel Patrick Boisvert, nouveau Premier ministre par intérim, par Ministry of Communication de Wikimedia Commons

Michel Patrick Boisvert, le nouveau Premier ministre par intérim, a pris le relais d’Ariel Henry, disparu sur la scène internationale. La question se pose, par dérision peut-être, sur le sort de ceux fidèles à Henry, promus ou exilés pour récompenser leur loyauté ou leur incompétence. Emmelie Prophète, ex-journaliste devenue ministre de la Culture, reste à un poste où elle peut moins nuire, illustrant avec une ironie mordante ce ballet de chaises musicales où les mêmes acteurs changent de masque mais jamais de script.

Le rétablissement de la sécurité publique est chanté comme un refrain éculé par Régine Abraham, membre du conseil, qui dénonce l’échec cuisant du gouvernement sortant. Mais, peut-on vraiment échouer là où aucun succès n’a jamais été enregistré ? Peut-être est-ce là le vrai génie d’Haïti : échouer si spectaculairement que le monde ne peut s’empêcher de regarder, mi-horrifié, mi-fasciné.

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Avec des élections promises dans un futur aussi flou que l’efficacité de la future mission de sécurité de l’ONU, Haïti continue de naviguer dans un labyrinthe de non-sens politiques. Le pays, toujours sans président ni Parlement depuis des lustres, s’enfonce un peu plus chaque jour dans les sables mouvants de l’instabilité, sous le regard à la fois impuissant et complice de la communauté internationale.

La communauté internationale reste sceptique

Ariel Henry,  Il est Premier ministre et chef de l’État de facto du 20 juillet 2021 au 11 mars 2024, par Casa Rosada (Argentina Presidency of the Nation) de Wikimedia Commons

Ainsi, le cirque politique haïtien continue, avec de nouveaux clowns, quelques acrobates en moins, et un public de moins en moins amusé par un spectacle qui a perdu de son éclat, mais jamais de son absurdité. Le conseil présidentiel de transition, avec ses neuf présidents pour un territoire fragmenté, semble moins un gouvernement qu’une parodie, où l’espoir d’un changement devient le gag final d’une farce tragique jouée encore et encore.

Ce contexte ubuesque est souligné par les remarques d’observateurs internationaux qui, malgré leurs discours optimistes, semblent peiner à masquer leur scepticisme face à la viabilité de cette nouvelle formation. Comme si, à défaut de pouvoir influencer positivement le cours des choses, le monde se contentait de saluer chaque nouveau chapitre de cette saga avec une résignation teintée de cynisme.

La démocratie menacée

Dans les rues, loin des salles de conférence sécurisées et des discours formatés, la réalité d’Haïti se vit au rythme des échanges de tirs et des vies brisées. Les citoyens, pris entre le marteau des gangs et l’enclume d’un gouvernement impotent, expriment un mélange de désespoir et d’indifférence face à ce nouveau tournant politique. « C’est juste un changement de visages, pas de politique », murmure un marchand de rue, fataliste.

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Pendant ce temps, les défis logistiques et financiers de la tenue d’élections crédibles semblent presque insurmontables dans un pays où la sécurité ne peut être garantie ni pour les électeurs, ni pour les candidats. Cela soulève une question amère : peut-on vraiment parler de démocratie lorsque voter est un acte qui met la vie en danger?

Malgré tout, Haïti continue de survivre, oscillant entre espoirs éphémères et désillusions amères, une terre où la résilience du peuple est aussi remarquable que la tragédie est profonde. Et alors que le conseil de transition prend ses marques, le monde regarde, attendant le prochain acte de cette dramaturgie politique, espérant secrètement que cette fois, contre toute attente, le rideau se lèvera sur une scène de renouveau plutôt que sur un autre tableau de désolation.

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